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Chapitres 12, 13 et 14

Publication : par Le directeur

Attention, tu ne peux poursuivre ta lecture que si tu as déjà lu les chapitres 10 et 11...

XII Récit de Pierre Doutreleau, treize ans, frère de Yann
Les deux grands sont revenus au bout de dix minutes avec deux baguettes.
— On nous les a données — y z’ont dit.
J’ai demandé :
— C’est tout ?
C’était tout. Avec Paul on s’est regardés et on s’est compris. La prochaine fois on irait tous les deux et on rapporterait de quoi manger, nous, pas de quoi faire semblant. Enfin bon, on a rien dit parce que c’était pas le moment de s’engueuler. On a partagé bien égal et on a commencé à manger debout. Et puis on s’est tous assis en rond par terre. C’était trempé, mais tant pis, on en avait plein les pattes d’avoir trotté tout le matin. Et on aurait bien le temps de sécher l’après-midi.
Au milieu, y avait Yann dans son sac. Il a grignoté un bout de croûton et y s’est endormi. On le regardait tous sans rien dire. C’était drôle, ça faisait comme la crèche avec le petit Jésus. Sauf qu’autour y avait pas toute la ménagerie, l’âne, le boeuf et les autres bestioles, y avait juste nous qu’on mangeait notre pain.

XIII Récit de Paul Doutreleau, treize ans, frère de Yann
On est restés un bon quart d’heure à passer d’un pied sur l’autre dans ce bois. Y z’ont fini par revenir avec de quoi manger. Mais leur « de quoi manger  », c’étaient deux baguettes de pain ! Avec Pierre on s’est regardés et on s’est compris. La prochaine fois, c’est nous qu’on se chargerait du ravitaillement et ça serait mieux pour tout le monde. On s’est assis par terre pour manger. Ça nous trempait le cul mais bon, on en avait marre de rester debout. Yann a rien mangé. Un demi- croûton peut-être et encore. On l’a installé au milieu, dans son sac et y s’est endormi. J’y ai jeté ma veste dessus parce que quand on dort, on aime bien avoir chaud. On l’a regardé un bon moment.
J’ai rien dit, mais je trouvais que ça faisait un peu comme la crèche avec le petit Jésus dedans.

XIV Récit de Dominique Etcheverry, vingt-huit ans, gendarme
C’est bizarre, on n’avait pas vu un chat de la matinée et vers une heure de l’après-midi, le défilé commence. D’abord une gentille mamie. On a empoisonné son chien, d’après elle. Elle est à peine sortie qu’arrive un gars d’une vingtaine d’années avec son casque de moto sous le bras :
— Bonjour, monsieur, je viens porter plainte. Un vieux cinglé a soi-disant voulu le « sortir  » de la route avec sa R 25. Le temps que je me fasse expliquer ça de plus près, voilà que la porte s’ouvre de nouveau et cette fois c’est tout le Moyen à‚ge qui entre dans la gendarmerie. Un couple de paysans genre Jacquou le Croquant, si vous avez vu la série.
— Vous pouvez patienter un peu ? je leur demande.
L’homme soulève sa grosse main et me fait un signe comme quoi oui, ils peuvent patienter, il y a pas le feu. La femme semble du même avis. En réalité, il y avait le feu, mais je pouvais pas savoir...
Juste à l’entrée on a une banquette avec une mousse dessus.
— Asseyez-vous ! je leur fais en la montrant.
Aucune réaction. C’est le genre de personnes qui s’assoient sur des chaises ou sur des bancs. Dès que c’est un peu mou, ou un peu bas, ils pensent qu’ils vont salir ou qu’ils pourront plus se relever, ou plutôt ils estiment que c’est pas pour eux. Bref, mes deux mannequins de chez Dior restent piqués là et attendent.
Je passe à côté avec le motocycliste, et quand j’en ai fini avec lui, c’est-à -dire un bon quart d’heure plus tard, je reviens à l’accueil. Les deux n’ont pas bougé d’un poil. J’étais pas là mais je suis sûr qu’ils se sont pas adressé un mot, ça se sent.
— Messieurs dames ? je leur dis.
L’homme donne un coup de coude à la femme.
Elle s’approche jusqu’à moi et me sort texto :
— C’est les gosses... y z’ont foutu le camp...
— Pardon ?
— Les gosses... y z’ont foutu le camp.
Et deux gros sanglots lui échappent. Comme des hoquets. Ça n’a pas duré longtemps. Elle a dû s’en vouloir de s’être laissé aller comme ça et l’instant d’après elle était à nouveau dure comme de la pierre. Ça devait la travailler depuis un bon moment, et le dire comme ça, tout simplement, avec les mots qui conviennent : « les gosses ont foutu le camp  », ça l’a remuée.
Depuis la porte, l’homme nous regarde avec un air farouche, du style : « J’ai bien voulu suivre la mère jusqu’ici, mais c’est elle qui cause. Me demandez rien, à moi !  »
Les « gosses  », comme elle dit, sont partis dans la nuit. Ce matin en tout cas, il y avait plus personne.
Et pourquoi ils seraient partis ?
Elle sait pas.
C’est la première fois qu’ils font ça ?
Oui, c’est la première fois.
Ils seraient pas à l’école tout bêtement ?
Non, ils sont pas à l’école.
Et c’est seulement maintenant qu’ils le signalent ?
Oui, parce qu’ils les ont cherchés avant de venir...
Ça, pour chercher, ils ont dû chercher. Les deux ont les yeux hagards, ils sont hirsutes, leurs vêtements sont trempés. Ils auraient du mal à faire croire qu’ils sortent d’une partie de bridge chez le préfet.
J’enregistre tout ça, j’alerte Jean-Pierre, un collègue qui vient du Midi comme moi, et on saute dans la 4 L. Les Doutreleau, ils s’appellent comme ça, nous précèdent dans leur 404 à laquelle manquent entre autres accessoires le pare- chocs arrière et le rétro extérieur.
Dans la cour de la ferme, il y a une Polo rouge et deux personnes qui nous regardent arriver.

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