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Deuxième partie Chapitre 15

Publication : (actualisé le ) par Le directeur

XV

Récit de Pierre

Si encore on aurait une montre ! On saurait si c’est le jour ou la nuit ! Dans le noir, c’est tout pareil. Les petits arrêtent pas de tousser. On a beau leur mettre dessus toutes les couvertures de la maison, y toussent encore. Avec Paul, de temps en temps, on va au garage, on fout des grands coups de pied contre la porte et on jure tout ce qu’on peut. Ça sert à rien mais ça soulage.
A force de rien voir, on est devenus comme les aveugles : on tâte avec les mains.

Récit de Paul

Le plus dur à penser, c’est qu’il y a l’Océan juste devant, là , à deux cents mètres, et qu’on peut pas regarder ! On est comme des sardines dans leur boîte. Impossible d’ouvrir les volets à cause qu’il y a plus l’électricité, et impossible d’ouvrir la porte du garage. Et pourtant on y a cogné dessus avec Pierre ! Je m’en suis bousillé le gros orteil du pied gauche.
Au bord de l’Océan, c’était le plus beau moment de ma vie. On est restés assis à regarder. A mesure que la nuit tombait, l’eau prenait une couleur comme de l’acier. On se sentait tout petits, mais ça nous protégeait aussi. Et puis ça faisait beaucoup de bruit, vraoutch. Je sais pas décrire, moi...
Y avait personne. Juste un type avec un bonnet enfoncé sur la tête qui est passé dans notre dos en courant. Y nous a dit salut ! et on a répondu pareil.
Moi, je m’en fais pas, je sais qu’on sortira d’ici. Je sais pas comment, mais on sortira.

Récit de Rémy

Au milieu d’une nuit, est-ce que c’était la nuit, d’ailleurs ? Victor a dit dans un grand silence, et d’une toute petite voix :
— C’est notre anniversaire...
C’était vrai. Max et lui avaient douze ans ces jours-ci. Alors nous, les quatre grands, on se les est passés les uns aux autres et on les a embrassés. On a commencé à chanter la chanson, mais on était trop tristes et on n’est pas allés jusqu’au bout.
On a tous très soif. C’est le pire.

Récit de Max

Victor et moi, on reste presque tout le temps dans les couvertures, parce qu’on a pris froid. Pour passer le temps, au début, on jouait aux devinettes avec les animaux. Maintenant on n’y joue plus. On voudrait rentrer à la maison. En toussant très fort, Victor a vomi sur le tapis et il a pleuré. « On va me gronder... on va me gronder...  » Fabien a dit que c’était pas grave, qu’il fallait pas pleurer pour ça.

Récit de Victor

Max et moi, on a de la fièvre et il faut qu’on reste sous les couvertures. J’ai vomi sur le tapis, mais c’est pas grave, je vais pas pleurer pour ça. Je fais des rêves bizarres. On marche sur la voie ferrée et c’est le père qui nous conduit : Allez ! il nous dit, on va à l’Océan ! Vous connaissez la route ! Et il rigole... J’aime pas ce rêve.

Récit de Rémy

Paul a trouvé un briquet dans un tiroir. Mais la flamme est toute petite et on se brûle vite les doigts.
Avec, on a regardé la photo des sept filles et de leurs parents. Ils gardent le sourire, eux... De rage, j’ai jeté le cadre de toutes mes forces et je crois que j’ai cassé une lampe.

Récit de Pierre

Ça m’est venu d’un coup : si on peut pas se chauffer avec les radiateurs, y reste la cheminée ! On n’a qu’à faire du feu ! J’ai dit mon idée à Paul et il a été d’accord tout de suite. Pour le bois, on avait que l’embarras du choix avec tous les meubles. On est allés dans une des chambres et on a dépiauté un lit. Pas facile quand on n’y voit rien. On n’a pas réussi à casser les planches mais on n’aurait qu’à les avancer petit à petit dans le feu... Comme y avait pas de journaux pour allumer, on a déchiré des pages au hasard dans un grand livre. Notre feu a jamais pris. Par contre, ça puait drôlement et pas moyen d’ouvrir pour aérer...

Récit de Fabien

Je savais plus si on était là depuis deux jours ou depuis une semaine. Tout se confondait. Il y a un moment où plus personne bougeait, je me rappelle, et pour la première fois j’ai pensé qu’on allait peut-être mourir ici tous ensemble. Est-ce que ça ferait mal ou bien est-ce qu’on s’endormirait tranquillement ? Qui partirait le premier ? Et qui le dernier ? Je me posais ces terribles questions quand Yann est venu me gratter le bras.
— Qu’est-ce qu’il y a ? j’ai demandé.
Il a pris mes deux mains et il a mis dedans ce qu’on cherchait depuis le début, depuis la toute première heure. On s’y était tous mis. On avait fouillé en vain toutes les pièces, les moindres recoins. Jusque sous l’évier de la cuisine, et j’avais fini par dire :
— Arrêtez, c’est pas la peine, il y en a pas et c’est tout.
Un téléphone !
J’ai pris le petit briquet, je l’ai allumé tout près de son visage et je lui ai demandé tout bas :
— Où as-tu trouvé ça ?
— Dans un carton, sur l’armoire, dans la chambre des parents...
— On est sauvés, alors ?
— Oui, vous êtes sauvés...
Le briquet s’est éteint. J’ai réussi à le rallumer une dernière fois. Le visage souriant de Yann a dansé un instant dans la lueur de la flamme puis a disparu dans le noir. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Mais je le savais pas. Depuis, quand je pense à lui, c’est cette image que je vois : un visage souriant qui danse dans une flamme et qui me dit : « Vous êtes sauvés.  »
Il restait encore à trouver la prise et j’aurais jamais cru que ce soit aussi difficile. Au début on a cherché avec frénésie, tous à quatre pattes, même les petits. Et puis, les heures passant, on s’est découragés les uns après les autres. Sauf Paul, qui a dit :
— Elle est derrière un meuble !
Alors on a déplacé tous les meubles qui se trouvaient contre les murs. On suait, on soufflait. On sentait mauvais. On se bousculait dans le noir. On était comme des animaux. Finalement, il n’est plus resté qu’un énorme coffre dans l’entrée. On a rassemblé nos dernières forces et on l’a poussé. Paul a suivi la plinthe avec ses doigts.
— Je l’ai... il a dit tout doucement, la prise... je l’ai...
Il avait même plus le courage de crier.
Rémy est parti chercher le téléphone dans le salon et on a réussi à le brancher. On a tous retenu notre souffle. Dans le silence, la tonalité était toute fragile, toute menue, mais c’est comme si les dix fenêtres de la maison s’étaient ouvertes à la fois, comme si l’Océan s’y était engouffré !
— Qui on appelle ? a demandé Pierre une fois qu’on a eu retrouvé notre calme.
Et la question méritait d’être posée. La police ? Ils nous ramèneraient chez nous... Un numéro au hasard ? Qu’est-ce qu’on dirait ? On saurait même pas dire où on était... Une maison au bord de l’Océan...
Elles se ressemblent toutes... Et puis comment composer un numéro sur un cadran quand on n’y voit rien du tout ?
Le silence est retombé. Et dans ce silence on a entendu soudain le tip... tip... tip... des touches du téléphone. J’ai tendu le bras et cherché à tâtons. Ma main a trouvé celle de Yann. C’est lui qui composait un numéro, dans le noir le plus total... Au dixième tip, il a serré très fort mon poignet et il a mis l’écouteur dans ma main. Je l’ai porté à mon oreille.
Au bout du fil, la sonnerie a retenti deux fois seulement et j’ai entendu la voix de notre mère :
— Allô ? Qui c’est ?
— C’est nous, j’ai dit en pleurant, c’est nous...
Tous les autres pleuraient aussi, sauf Pierre qui a crié « vos gueules !  » parce qu’il voulait entendre.
— C’est où que vous êtes, mes petits ? elle a dit, et je l’avais jamais entendue nous appeler comme ça, ses petits...
— On est enfermés dans une maison, au bord de l’Océan...
— Ta gueule ! elle a crié, mais c’était pas pour moi, c’était pour Corniaud qui jappait à côté d’elle.
Du coup on a tous éclaté de rire :
— Vous entendez ? C’est Corniaud ! C’est Corniaud !
Après, c’est notre père qui nous a parlé. Paul lui a répété qu’on était enfermés et puis il a expliqué la route qu’on avait prise avec le gros épicier, comment était la maison, et tout ça. Le père a dit qu’il appelait les gendarmes et qu’ils seraient là avant le jour, qu’on s’inquiète pas. Lui aussi a dit « mes enfants  » et ça faisait drôle...
Avant le jour ? On était la nuit alors ?
On a raccroché le téléphone et on est retournés se coucher sous les couvertures, dans le salon, parce qu’il faisait rudement froid. On s’est serrés les uns contre les autres et je crois bien qu’on s’est tous endormis.

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