Deuxième partie Chapitre 3
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III Récit de Colette Faure, retraitée, soixante-huit ans
Les gens me croient pas quand je leur dis. Ils ont qu’à venir passer quelque temps chez moi. Une, ça me ferait de la compagnie. Et deux, ils verraient que je mens pas. Je vous défie de regarder la voie ferrée plus d’une demi-journée sans voir quelqu’un qui marche le long. Ça vous étonne, ça ! Et pourtant c’est la vérité vraie.
Ça fait quinze ans que je la regarde, moi, la voie ferrée. J’ai ma chaise à la fenêtre. À droite c’est la télé, à gauche la voie ferrée. Et entre les deux il y a moi qui regarde, tantôt à droite, tantôt à gauche, tantôt la télé, tantôt la voie ferrée. Quand j’en ai marre, je donne à manger au chat et je le regarde faire. Me dites pas, avec le nombre de chemins qui existent, de routes, d’autoroutes et le reste, on se demande pourquoi ils éprouvent le besoin de marcher là . Mais je commence à avoir mon idée. Ils marchent là : une, parce que c’est tout droit, et deux, parce que au bout il y a toujours une gare. Ça leur fait deux certitudes et ça repose. En général, c’est des personnes seules. Ça va tête baissée, à broyer du noir. Enfin je suppose. Quand on marche tout seul le long d’une voie ferrée, c’est pour quoi faire, si c’est pas pour broyer du noir ?
Parfois j’ai envie d’ouvrir ma fenêtre et de leur brailler : « Ça s’arrangera pas, votre affaire ! Couchez-vous plutôt sur le rail, le prochain passe dans cinq minutes ! Vous serez tranquille comme ça !  »
Ça me fait rire toute seule. Je suis pas méchante, juste un peu taquine. On se distrait comme on peut. Ça m’est venu avec l’âge. J’étais pas tordue comme ça avant, il me semble...
Je le fais pas quand c’est des jeunes. Et surtout si c’est la nuit. Ceux-là sont passés à onze heures du soir. C’était les actualités sur la Deux, j’ai repéré l’heure comme ça. Quatre gars à la queue leu leu, et devant, un drôle de petit bonhomme qui trottait. La lune donnait en plein et je le voyais comme je vous vois.
Imaginez un gamin avec une veste des années cinquante boutonnée au milieu, et vous avez le tableau. Il faisait trois pas quand les autres en faisaient un et il se dandinait comme un pingouin sur la banquise. Cent mètres derrière en voilà un sixième qui en porte un autre sur son dos.
J’ai attendu un peu, des fois qu’il en serait arrivé d’autres, mais non, c’étaient les derniers, le défilé était terminé. En passant devant la maison, celui qui se faisait porter a regardé longtemps vers moi. Je lui ai fait un mouvement de menton : « Tu veux ma photo ou quoi ?  »
Périgueux est à plus de trente kilomètres. Les enfants, je me suis dit, si vous voulez y être avant le jour, il faudrait voir à accélérer la cadence.
Quand ils en ont parlé dans le journal la semaine d’après, j’ai vite appelé les gendarmes, mais ils m’ont pas écoutée. Une, parce qu’ils avaient déjà retrouvé les gosses, et deux, parce qu’on m’écoute jamais, moi.
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