Chapitre 16 (deuxième partie)
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XVI Récit de Xavier Chapuis, quarante-deux ans, adjudant-chef de gendarmerie
L’affaire Doutreleau ? Je vais vous faire un aveu : j’avais mis une croix dessus. Quand un gosse disparaît et qu’on ne le retrouve pas dans les quarante-huit heures, je n’aime pas ça du tout. Et plus le temps passe, plus les chances diminuent. Les jours succèdent aux jours, les semaines aux semaines, on finit par oublier ou presque, jusqu’à ce qu’un beau matin un ramasseur de champignons découvre un corps dans un bois.
Là , ça faisait cinq jours pleins, alors... Et autant de nuits. Bien sûr qu’on a cherché. Les collègues de là -bas ont fait travailler les chiens pour commencer, mais c’était perdu d’avance à cause de la pluie qui avait effacé toutes les traces. Ensuite ils ont survolé les environs en hélicoptère, sans résultat. Et pourtant, nom d’une pipe, sept gosses en vadrouille, ça ne devait pas passer inaperçu ! Ils ont même pris le train, on l’a su plus tard !
C’est moi qui ai reçu l’appel radio, dans la nuit du samedi au dimanche. Le père Doutreleau avait eu ses enfants au téléphone : ils étaient dans « une maison au bord de l’Océan  », tout près d’ici. Il avait décrit la route, je voyais à peu près. Et surtout il avait indiqué que c’était un « gros épicier  » qui les avait déposés là .
Quand vous dites « gros épicier  », ici, les gens vous répondent en choeur : Ducroq ! Alors on est partis à quatre, on est allés réveiller Ducroq et il nous a conduits tout droit à la maison. L’ennui, c’est que la maison en question, je savais très bien à qui elle appartenait. Elle est à Faivre, ça vous dit quelque chose ?
On a essayé de le joindre à son domicile, mais ça ne répondait pas. Alors, Faivre ou pas Faivre, on est entrés par la porte du garage qui était curieusement fixée de l’extérieur avec du fil de fer.
Le radeau de la Méduse
Théodore Géricault
Musée le Louvre
Vous connaissez le tableau du « Radeau de la Méduse  » ? Eh bien, c’est ce qu’on avait dans le faisceau de nos torches. Les gosses étaient dans un état de grande torpeur. Complètement hébétés. Et très affaiblis surtout. Ça sentait très mauvais dans la pièce, le vomi et l’urine aussi. Et il y faisait un froid de canard. Ils étaient tous couchés par terre, empêtrés dans des couvertures, sales, amaigris. La lumière les aveuglait. On a détourné nos torches.
— Ça va aller, les gars...
Un des gosses, le plus grand, a demandé :
— Vous avez à boire ?
Il avait les lèvres gonflées. Je suis allé à la cuisine, mais le robinet était sec. On a aussitôt appelé les ambulances en recommandant d’apporter de l’eau.
Je ne sais pas comment on a pu laisser s’échapper le petit. On a manqué de vigilance, bien sûr. Il a dû se glisser par la porte ouverte du garage. Quand on s’est rendu compte, c’était déjà trop tard. On a fouillé les environs pendant tout le reste de la nuit et pendant toute la journée du lendemain, mètre par mètre. En vain.
C’est resté pour moi le plus grand des mystères. S’il avait marché vers la plage et qu’il se soit noyé, l’Océan aurait rendu son corps. Et s’il était resté à terre, je vous jure qu’on l’aurait retrouvé. Je ne sais pas ce qu’il est devenu. C’est tout ce que je trouve à dire quand on me demande, aujourd’hui : je ne sais pas.
Ce que je sais en revanche, c’est le cirque auquel on a eu droit quand ses frères ont dû monter dans les ambulances et partir sans lui. Les deux grands, ça allait. Ils ont été raisonnables. Je leur ai simplement dit :
— On le retrouvera, faites-vous aucun souci.
Ils m’ont fait confiance. Les deux petits, eux, ne se rendaient plus compte de rien. Ils avaient une très forte fièvre d’après le toubib. On les a déposés inertes sur la couchette.
Ce sont les deux du milieu qui se sont révoltés. Les pauvres gosses ne voulaient rien entendre. Leurs jambes les tenaient à peine, mais ils se sont sauvés sur la plage. Il a fallu les rattraper, les ceinturer. Ils braillaient : « Yann ! Yann !  » et nous bourraient de coups de poing. Quand leur ambulance a démarré, l’un des deux, celui qui m’avait retourné le pouce, tambourinait encore sur la portière arrière en pleurant :
— Y sait pas nager ! Y sait pas nager !
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