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Chapitre 15 suite (deuxième partie)

Publication : par M. Lauga

XV Récit de Fabien

Je savais plus si on était là depuis deux jours ou depuis une semaine. Tout se confondait. Il y a un moment où plus personne bougeait, je me rappelle, et pour la première fois j’ai pensé qu’on allait peut-être mourir ici tous ensemble. Est-ce que ça ferait mal ou bien est-ce qu’on s’endormirait tranquillement ? Qui partirait le premier ? Et qui le dernier ? Je me posais ces terribles questions quand Yann est venu me gratter le bras.
— Qu’est-ce qu’il y a ? j’ai demandé.
Il a pris mes deux mains et il a mis dedans ce qu’on cherchait depuis le début, depuis la toute première heure. On s’y était tous mis. On avait fouillé en vain toutes les pièces, les moindres recoins. Jusque sous l’évier de la cuisine, et j’avais fini par dire :
— Arrêtez, c’est pas la peine, il y en a pas et c’est tout.
Un téléphone !
J’ai pris le petit briquet, je l’ai allumé tout près de son visage et je lui ai demandé tout bas :
— Où as-tu trouvé ça ?
— Dans un carton, sur l’armoire, dans la chambre des parents...
— On est sauvés, alors ?
— Oui, vous êtes sauvés...
Le briquet s’est éteint. J’ai réussi à le rallumer une dernière fois. Le visage souriant de Yann a dansé un instant dans la lueur de la flamme puis a disparu dans le noir. C’est la dernière fois que je l’ai vu. Mais je le savais pas. Depuis, quand je pense à lui, c’est cette image que je vois : un visage souriant qui danse dans une flamme et qui me dit : « Vous êtes sauvés.  »
Il restait encore à trouver la prise et j’aurais jamais cru que ce soit aussi difficile. Au début on a cherché avec frénésie, tous à quatre pattes, même les petits. Et puis, les heures passant, on s’est découragés les uns après les autres. Sauf Paul, qui a dit :
— Elle est derrière un meuble !
Alors on a déplacé tous les meubles qui se trouvaient contre les murs. On suait, on soufflait. On sentait mauvais. On se bousculait dans le noir. On était comme des animaux. Finalement, il n’est plus resté qu’un énorme coffre dans l’entrée. On a rassemblé nos dernières forces et on l’a poussé. Paul a suivi la plinthe avec ses doigts.
— Je l’ai... il a dit tout doucement, la prise... je l’ai...
Il avait même plus le courage de crier.
Rémy est parti chercher le téléphone dans le salon et on a réussi à le brancher. On a tous retenu notre souffle. Dans le silence, la tonalité était toute fragile, toute menue, mais c’est comme si les dix fenêtres de la maison s’étaient ouvertes à la fois, comme si l’Océan s’y était engouffré !
— Qui on appelle ? a demandé Pierre une fois qu’on a eu retrouvé notre calme.
Et la question méritait d’être posée. La police ? Ils nous ramèneraient chez nous... Un numéro au hasard ? Qu’est-ce qu’on dirait ? On saurait même pas dire où on était... Une maison au bord de l’Océan...
Elles se ressemblent toutes... Et puis comment composer un numéro sur un cadran quand on n’y voit rien du tout ?
Le silence est retombé. Et dans ce silence on a entendu soudain le tip... tip... tip... des touches du téléphone. J’ai tendu le bras et cherché à tâtons. Ma main a trouvé celle de Yann. C’est lui qui composait un numéro, dans le noir le plus total... Au dixième tip, il a serré très fort mon poignet et il a mis l’écouteur dans ma main. Je l’ai porté à mon oreille.
Au bout du fil, la sonnerie a retenti deux fois seulement et j’ai entendu la voix de notre mère :
— Allô ? Qui c’est ?
— C’est nous, j’ai dit en pleurant, c’est nous...
Tous les autres pleuraient aussi, sauf Pierre qui a crié « vos gueules !  » parce qu’il voulait entendre.
— C’est où que vous êtes, mes petits ? elle a dit, et je l’avais jamais entendue nous appeler comme ça, ses petits...
— On est enfermés dans une maison, au bord de l’Océan...
— Ta gueule ! elle a crié, mais c’était pas pour moi, c’était pour Corniaud qui jappait à côté d’elle.
Du coup on a tous éclaté de rire :
— Vous entendez ? C’est Corniaud ! C’est Corniaud !
Après, c’est notre père qui nous a parlé. Paul lui a répété qu’on était enfermés et puis il a expliqué la route qu’on avait prise avec le gros épicier, comment était la maison, et tout ça. Le père a dit qu’il appelait les gendarmes et qu’ils seraient là avant le jour, qu’on s’inquiète pas. Lui aussi a dit « mes enfants  » et ça faisait drôle...
Avant le jour ? On était la nuit alors ?
On a raccroché le téléphone et on est retournés se coucher sous les couvertures, dans le salon, parce qu’il faisait rudement froid. On s’est serrés les uns contre les autres et je crois bien qu’on s’est tous endormis.

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